Rues

Histoire des rues par Dominique Valentin

Généralités

On recourt au terme de « toponymie » pour désigner les noms de lieux d’une région (ou en étudier la linguistique), à celui d’ « odonymie » (de « hodos » en grec signifiant « route ») pour les noms de rues.

Donner un nom à une rue relève d’une fonction pratique, à plus d’un titre. Il permet ainsi de :
  • se situer, se repérer, s’orienter dans l’espace,
  • d’avoir une adresse où nous joindre.
L’adresse est un élément important de notre quotidien : réception de courrier, justification de domicile, constitution de dossiers administratifs…

De nombreux critères comme celui de la longueur, de la largeur, ...entrent en ligne de compte dans leur appellation : rue, avenue, boulevard, etc…

Les noms de rues en France datent du Moyen Age.
Les rues des villes médiévales se regroupaient autour du château ou de l’église. Elles étaient étroites, obscures, encombrées.
Les toits s’avançaient sur les chaussées. Les animaux de basse-cour, de boucherie les encombraient tout comme les charrois, les cavaliers…
Les immondices s’accumulaient, les rats s’en donnaient à cœur joie. Les rues étaient propices aux deux fléaux majeurs de la vie de la ville d’alors : les incendies et les épidémies.
Elles étaient déjà dangereuses, on pouvait être estropié pour avoir heurté une roue de carrosse ou de chariot, ou avoir été frappé par le sabot d’un cheval...
Les boutiques étaient dans la rue, la marchandise sur des tréteaux devant les portes de magasins qui n’étaient que dépôts dans lesquels le client ne pénétrait pas. Le soir, la marchandise étaient rentrée.
Chaque rue se spécialisait : la rue des drapiers, des forgerons, des bouchers…

Les rues ont muté progressivement au fil des siècles, accompagnant l’évolution de la population, le style de vie, le progrès, les régimes politiques.
Elles ont été alignées, élargies, assainies, nettoyées, éclairées, sécurisées, dénommées, numérotées…

Paris, vers 1900, compte encore plus de quatre-vingt mille chevaux en activité, pour tirer les diligences, les fiacres et les camions, sans parler des chevaux de promenade des jardins et de la cavalerie militaire encore très présente.
Mais l’apparition, puis le développement successif, du tramway, puis de la traction à vapeur, enfin de l’automobile et du camion transforment radicalement l’usage de la rue.

Le nom de rue a été politisé à travers les siècles, il est devenu une façon de rendre hommage et de perpétuer le souvenir… La preuve en est le changement de noms de rues qui se font en parallèle avec les changements historiques, ainsi que dans les problèmes que peuvent poser certains noms (nominations comme débaptisations…).
Le choix de noms de rues s’avère souvent être un hommage à des gloires passées, à travers leurs grands hommes. Les odonymes aspirent à être des garanties contre l’oubli.

Chrononologie succincte

moyen age EVENEMENTS
  Les noms de rues étaient attribués en fonction de la situation de la rue, du lieu qu’elle desservait : rue des Abattoirs, place du Marché, place de l’Eglise, rue des Augustins, rue de l’Ecole, rue aux Ecrivains, rue des Etuves…
Les noms sont simples, logiques, faciles à retenir. Il y a un lien entre l’environnement de la rue et son nom.
Jusqu’au 18ème siècle, la population était pour la plus grande partie illettrée, d’où l’utilisation d’enseignes, pour indiquer les commerçants, auberges, hôtelleries….
1258 Première tentative d'Étienne Boileau, prévôt de Paris, pour imposer un
éclairage sur chaque façade. Il échoue.
1318 Premier éclairage urbain à l'initiative de Philippe V : lanternes aux abords du palais du tribunal du Châtelet pour des raisons de sécurité.
   
XVII ET XVIIIè siecles evenements
  A partir de 1600, les noms de rues bizarres et obscènes du Moyen Age furent remplacés par des noms plus corrects : ainsi « Pet-au-Diable » est devenu « Tourniquet ».
La dénomination fonctionnelle changea pour des noms de personnages politiques, artistiques ou notables : rue Molière, place Colbert, Place Louis-le-Grand, rue de Condé …
Les noms propres deviennent en tant que noms de rues des hommages.
16/01/1728
Paris
Ordonnance du Lieutenant général de police, René Hérault : les noms de rues doivent être affichés sur des feuilles de fer blanc en gros caractères noirs.
En effet, le nombre de rues progresse vite (309 au xiiie siècle, 789 sous Louis XV).
30/07/ 1729
Pais
Nouvelle ordonnance stipulant que les propriétaires doivent faire mettre aux deux extrémités des rues « des tables de pierres de liais d’un pouce et demi d’épaisseur et de grandeur suffisante pour y faire graver les noms de rues, en lettre de hauteur de deux pouces et demi… ».
01/03/1768 Ordonnance royale prescrivant la numérotation des maisons rue par rue dans toutes les villes de France.
   
Revolution evenements
  Place aux valeurs du moment : rue de la Liberté, rue de l’Egalité,  place de l’Egalité, route de la Nation, place de la Nation,…
Plus de notions de saints, d’églises, …
Les noms de rues deviennent des idéaux : rue des Sans Culottes, rue La Raison, rue les Droits de l’Homme,…
   
empire evenements
  Place aux grandes victoires de l’Empereur, à des personnages militaires : Place d’Austerlitz, rue Masséna, rue de Wagram, rue Ney…
Réintroduction de noms de saints, d’Eglise : rue Saint-Antoine, rue de l’Eglise…
04/02/1805 Décret napoléonien pour que cette obligation entre vraiment dans les faits à Paris.
Le numérotage des rues institué en 1805 par Nicolas Frochot, préfet de la Seine classe les rues selon leur orientation par rapport à la Seine :
- si elles sont parallèles à la Seine, les immeubles sont numérotés de l'amont vers l'aval du fleuve,
- si elles sont perpendiculaires à la Seine, les immeubles sont numérotés depuis la Seine vers les faubourgs.
   
xixè siecle evenements
  Les rues aux noms de saints ou d’ordres monastiques sont à nouveau débaptisées au profit des noms des philosophes des lumières, des  révolutionnaires, des héros de 1870.
Suite à la guerre franco-prussienne et à ses conséquences, création de boulevards de Strasbourg, de Metz, d’Alsace-Lorraine…
23/04/1823 Ordonnance de Louis XVIII pour que cette obligation soit étendue à l’ensemble du pays français.
1823

Remplacement des inscriptions sur pierre par des plaques de fer comprenant des lettres en blanc sur fond noir.

1844 Remplacement par des plaques entaillées ou émaillées à lettres blanches sur fond bleu, sur prescription de Claude-Philibert Barthelot de Rambuteau, préfet de la Seine.
1878 Installation de l’éclairage électrique dans  32 « foyers » avenue de l'Opéra et place du Théâtre-Français.
   
xxè siecle evenements
  A partir de 1940, nombreux changements de noms.
A la suite du pacte germano-soviétique, débaptisation de certaines places « Henri Barbusse » ou avenue « Vaillant-Couturier »… En 1944, à la Libération, le nom de Pétain disparaît souvent, pour le nom de de Gaulle. De nombreuses rues portent le nom de résistants…

A propos des enseignes

Les enseignes, déjà présentes dans l'Anquité, connurent leur apogée au Moyen Age.
Les enseignes n'étaient pas des objets de décoration, elles avaient une fonction importante : indiquer à une population majoritairement illetrée les échoppes, les différents corps de métier... Des adresses, en quelque sorte.

Elles permettaient de s'orienter dans la rue.
Elles annonçaient aux passants le métier de l'artisan : une clé pour un serrurier, une queue de renard pour un fourreur, une grappe de raisin pour un vigneron, une brioche pour une boulangerie...
La numérotation n'existait pas, les maisons portaient un nom de couleur, d'animal, d'objet. Une façon également de personnaliser sa demeure...

Elles étaient scuptées dans le bois, la pierre, suspendues à une potence en fer forgé... Elles étaient "travaillées" soigneusement, artistiquement.

Elles présentaient trois avantages :
- elles se voyaint de loin
- elles se "lisaient" rapidement
- elles étaient immédiatement comprises par tous, même par les plus incultes.

Les enseignes disparaîtront progressivement sous la Restauration, suite à un impôt particulier dont les marchands devaient s'acquitter, on leur reprochait d'empiéter sur le domaine public. Il est vrai qu'elles étaient si nombreuses, qu'elles devenaient gênantes : elles grinçaient par grand vent, s'entrechoquaient, bloquaient le passage des cavaliers lorsqu'elles étaient trop imposantes...
Vers la fin du XIXème siècle, l'affiche publicitaire les remplacera...
Sources :
  • Histoire de la rue de Maurice Garden
  • Dénomination et changement de nom de rue : enjeux politiques , enjeux de mémoire de Marie Comard-Rentz
  • Wikipedia