Au fil de la presse...

Le Petit Journal (1863-1944)

Vingette Le Petit Journal

Année 1876 (documents retranscrits et transmis par François Texier)

N° 04890 du mardi 16 mai 1876 : Les rosières

Si le temps n’a pas été favorable jusqu’ici à l’épanouissement des roses, il n’en est pas de même des rosières, car nous en rencontrerons au moins deux dans notre prochain programme des fêtes des environs de Paris, sans compter celle de Nanterre qui ne fleurit qu’à la Pentecôte.
C’est à saint Médard, ce véritable dispensateur des pluies sans fin, que l’on doit l’invention des rosières.
Saint Médard, dont la mémoire est pieusement et justement vénérée quoiqu’il se soit montré un peu dur pour les mécréants, cumulait les fonctions d’évêque de Noyon, d’évêque de Tournay, et de seigneur de Salency où il avait reçu le jour d’un père noble et d’une mère romaine. Voulant maintenir les jeunes filles de Salency dans le sentier de la vertu, il y réussit, dit-on, en donnant chaque année à la plus digne une couronne ou chapeau de roses et une somme de vingt-cinq livres.
Il ne faut point rire de cette somme, car, d’après les tables de Dernis, la, livre valait encore sous Charlemagne, plus de soixante-cinq francs de notre monnaie d’aujourd’hui.
C’était donc une petite fortune acquise uniquement par la pratique d’une vertu sans tache. Ce qui fait voir qu’une conduite honnête a été de tout temps le meilleur moyen de s’enrichir.
De nos jours, encore, et particulièrement à Paris, il existe bon nombre d’hommes qui préfèrent cette dot modeste à une dot composée uniquement d’argent, l’argent risquant fort de rester moins longtemps que la femme en la possession du mari.

Mais si saint Médard dotait bien, il était en revanche très exigeant. Il ne se contentait pas de la vertu de la Rosière, il lui fallait encore trouver une vertu égale chez le père, la mère, les frères, les sœurs, et les parents de celle-ci jusqu’à la quatrième génération.
Il serait peut-être difficile de remplir ce programme, à l’époque où nous vivons, mais il parait qu’alors cela ne présentait pas d’obstacle insurmontable, et que chaque année la Rosière demandée ne laissait que l’embarras du choix.
Et de croyez pas que saint Médard et les seigneurs qui lui succédèrent fussent disposés à accepter légèrement les papiers des Rosières et ceux de leurs familles. Chaque Rosière passait par une double épreuve, avant de conquérir le chapeau et les vingt-cinq livres de dot. Elle subissait d’abord l’examen du seigneur de Salency puis sa candidature était annoncée au prône, et, si personne n’avait d’objection fondée à y faire, elle était élue définitivement par le seigneur. Malgré toutes ces formalités, je répète, on était largement pourvu de Rosière chaque année.
Ce qu’il y avait de plus modeste dans cette solennité, après la Rosière, c’était le banquet qui terminait la cérémonie.

Mais n’anticipons pas sur les détails.
Les toilettes étant entrées, après la mort de saint Médard, dans cette voie de progrès qui cesserait d’être le progrès si l’on y mettait un terme, les seigneurs et leurs épouses s’évertuèrent successivement à embellir les Rosières, la vertu n’excluant pas des dehors agréables.
L’héroïne de la fête était vêtue de blanc, frisée, poudrée, et laissait flotter ses longues boucles de cheveux sur les épaules. Un cortège composé de ses parents, se douze jeunes filles également parés, et de douze garçons en habit de fête, escorté par des musiciens, l’accompagnait au château d’où elle repartait, sous la conduite du seigneur ou de son épouse, pour l’église.
De l’église on se rendait à la chapelle de Saint Médard, où s’accomplissait la cérémonie véritable.
Cela fait, la Rosière était confiée aux notables de l’endroit qui la conduisait à la table du festin, placée ordinairement dans la grande rue de Salency, sous les yeux d’une population enthousiaste et sympathique.
La table était recouverte d’une nappe blanche, sur laquelle se montrait six assiettes, six serviettes, deux couteaux, et une salière pleine, deux verres, et, comme menu, deux pains blanc d’un sou, un fromage de trois sous, un demi-cent de noix, deux chopines de vin clairet et de l’eau fraiche.
Le nombre deux était sans doute symbolique, le numéro un s’applique à la Rosière, et le numéro deux au futur époux, entrevu dans la foule.
Quant aux quatre couverts restés sans emploi, la serviette pouvait servir à jouer le rôle du personnage que dans les sociétés on appelait autrefois le chevalier de la Triste-Figure, qui s’essuyait la joue chaque fois qu’il avait fait embrasser une demoiselle par un chevalier.

Bien des siècles après, l’institution des Rosières se propagea sur d’autres points de la France, notamment en Normandie et dans le Bordelais. Celle de Suresnes, encore fort suivie, a eu un grand éclat sous la Restauration. Celle de Nanterre fait époque chaque année.
Puteaux, Orsay, Enghien, etc. ont voulu se mettre de la partie.
Emulation intéressante et digne d’encouragement après tout. On ne crée pas la vertu et les bonnes mœurs, à volonté, ce serait faire injure aux jeunes filles sages que de leur offrir les quelques centaines de francs de la dot comme récompense.
Ce qui les honore, ce qui les encourage, ce qui les soutient, c’est l’hommage d’une population, c’est la libre élection de la commune.
Peu à peu, grâce à l’exemple, grâce à la fortifiante ambiance du bien, les Rosières élues ne se distinguent de leurs compagnes, de leurs émules, que par une plus grande ardeur à bien faire et quelques fois, le plus souvent, par une plus complète pauvreté supportée courageusement.
Ainsi l’institution des Rosières exerce son influence dans les localités qui en sont dotées et remplit un rôle social important.
Thomas GRIMM

N° 04895 du dimanche 21 mai 1876 : Petites nouvelles

SURESNES (gare Saint-Lazare. Tramways de l’Etoile. Bateaux-omnibus. Chemin de fer de ceinture et bois de Boulogne). A trois heures précises, dans l’église paroissiale, élection et couronnement de la Rosière. Fête et amusements à cette occasion.

PUTEAUX (même moyens de transport que pour Suresnes, le tramway succédant aux bateaux-omnibus de Suresnes à Puteaux). Fête communale. A deux heures, grand festival de gymnastique par la société de gymnastique de Puteaux, avec le concours des sociétés Parisiennes, fanfare l’Industrielle. Distribution des médailles. Illumination de et embrasement de l’ile de Puteaux par des feux de Bengale.

N° 05034 du samedi 7 octobre 1876 : Petites nouvelles

La Rosière qu’on couronnera dimanche à Puteaux est Mlle Marie Hamel. Cette jeune fille dont la mère est aveugle, s’est dévoué complétement à sa famille. Elle est protestante.

N° 05035 du dimanche 8 octobre 1876 : Fêtes des environs de Puteaux

PUTEAUX (gare Saint-Lazare, tramways de l’Etoile, bateaux à vapeur).
Grande fête du couronnement de la Rosière*1.
A deux heures, cortège avec la fanfare municipale. A deux heures et demie, cérémonie publique du couronnement, sous la grande tente, place de la mairie, musique par la société philharmonique, discours d’ouverture, cœurs par l’orphéon, couronnement. Distribution des médailles d’honneur aux jeunes filles admises aux concours. A 8 heures, grand bal de bienfaisance. Toute la journée, jeux et marchands forains sur les boulevards.

*1 – Cette fête, organisée par les soins de M. A. Blanche, maire de Puteaux, secondé par MM. Foucault, Nicolas, Lamarre fils, adjoints, sera présidée par M. Deschanel, député de la Seine, qui prononcera le discours.

N° 05037 du mardi 10 octobre 1876 : Rosière de Puteaux

Il y avait fête hier dans la jolie ville de Puteaux, où le beau temps avait amené nombre d’excursionnistes, on y récompensait la vertu, on y couronnait une rosière. Et vraiment, Mlle. Marie Hummel méritait bien cet honneur ! Simple blanchisseuse, elle soutient par son travail sa vieille mère aveugle, et a élevé ses frères et sœurs, plus jeunes qu’elle.
Mlle Hammel a 28 ans, sans être jolie, est toute charmante. Aucune distinction de culte n’étant admise dans le choix de la rosière, celle de cette année est protestante. La foule abonde sous la grande tente Lemaitre, place de la mairie, ou est célébré cette fête touchante, que préside M. Deschanel, député de la Seine, les trois sociétés musicales de la ville sont à leur poste. M. le maire, A. Blanche, prend place et, dans une improvisation chaleureuse, fait l’éloge de la rosière et de la famille Cartault, qui a légué 15 000 Fr., pour que les intérêts soient donnés chaque année à la jeune fille jugée la plus digne de cette récompense.  Après un morceau très bien exécuté par la société philarmonique de Puteaux, dirigée par M. A. Hervé, M. Deschanel prononce un discours excellent sur le rôle des femmes dans la famille et dans la société.
L’orateur, vivement applaudi, remercie l’assistance du concours empressé qu’elle a apporté à cette belle fête, la foule se retire alors, faisant place à la Rosière et à son cortège, qui la conduit musique en tête jusqu’au domicile de sa marraine, Mme. Ernest Francilien, femme d’un des plus honorables usiniers de Puteaux.
Le couronnement de la rosière a été suivi d’une fête, dont le programme se compose de bals, de jeux, de divertissements, le tout terminé par un feu d’artifice.
Le soleil s’est déjà caché derrière les coteaux de Suresnes. Les lumières brillent dans tous les établissements, et la plupart des Parisiens profitent de la circonstance pour déguster sur place les vins nouveaux de Suresnes et d’Argenteuil au frais et joyeux pétillement.
Marc CONSTANTIN.